«La situation financière actuelle confirme les difficultés rencontrées par la Tunisie pour faire des emprunts extérieurs auprès des institutions financières internationales ou dans le cadre des accords bilatéraux avec certains pays, du fait qu’elle n’a pas réussi à conclure un accord avec le FMI, et ce, en attendant la réunion du C.A du FMI dans les jours qui viennent. Mais concernant les emprunts intérieurs, le ministère des Finances a réussi à lancer des emprunts obligataires qui ont trouvé un écho favorable, surtout auprès des établissements financiers».
Quelle lecture faites-vous de la Loi de finances rectificative 2022 ? Est-ce, selon vous, réellement un budget de relance économique ou s’inscrit-il plutôt dans une optique de préservation des équilibres macroéconomiques ?
En réalité, le décret-loi n°2022-69 en date du 22 novembre 2022, portant loi de finances rectificative pour l’année 2023, ne comprend pas de mesures fiscales.
Il s’est limité, en premier lieu, à la fixation des recettes et des dépenses, avec un déficit budgétaire, comme suit :
– les recettes du budget de l’Etat : 41,130 Milliards Dinars, alors que ces recettes étaient de l’ordre de 38.618 Milliards Dinars dans le Budget initial pour l’année 2022, soit une augmentation de 2,512 Milliards Dinars (+6,5%)
– les dépenses du budget de l’Etat : 50,914 Milliards Dinars, alors qu’elles étaient fixées à 47,166 dans le Budget initial pour l’année 2022, soit une augmentation s’élevant à 3,748 Milliards Dinars (+7,9%)
– le déficit budgétaire: 9,784 Milliards Dinars contre 8,548 Milliards Dinars prévus initialement, soit une augmentation de 1,236 Milliard Dinars (+14,4%).
Il découle de ce qui précède que le décret-loi relatif à la loi de finances rectificative pour l’année 2023 n’a fait qu’actualiser les montants correspondants aux recettes et aux dépenses, et ce, dans une première étape.
Par conséquent, la priorité a été accordée aux équilibres macroéconomiques.
Quelle analyse faites-vous sur les mesures prévues dans cette loi rectificative ?
Etant donné que la loi de finances rectificative n’a pas prévu des mesures fiscales, l’analyse qui peut être effectuée va porter sur l’origine des recettes qui se composent : des recettes fiscales qui constituent la part la plus importante dans le Budget de l’Etat : 36,040 Milliards Dinars contre 35,091 Milliards Dinars prévus dans le Budget initial, soit une augmentation de 949 MD (+2,7%). Cette dernière est composée également des recettes non fiscales : 3,975 Milliards Dinars contre 3,067 Milliards Dinars prévus dans le Budget initial, soit une augmentation de 908 MD (+29,6%) ainsi que des dons de 1,115 Milliard Dinars contre 0,460 Milliard Dinars prévus dans le Budget initial, soit une augmentation de 655 Milliards Dinars (+142,3%).
Sachant que les autres rubriques ont concerné essentiellement des ressources d’emprunt extérieur : 11,916 Milliards Dinars contre 12,652 Milliards Dinars prévus dans le Budget initial et des ressources d’emprunt intérieur: 9,278 Milliards Dinars contre 7,331 Milliards Dinars prévus dans le Budget initial.
Cette situation confirme les difficultés rencontrées par la Tunisie pour faire des emprunts extérieurs auprès des institutions financières internationales ou dans le cadre des accords bilatéraux avec certains pays, du fait qu’elle n’a pas réussi à conclure un accord avec le FMI, et ce, en attendant la réunion du C.A du FMI dans les jours qui viennent. Mais concernant les emprunts intérieurs, le ministère des Finances a réussi à lancer des emprunts obligataires qui ont trouvé un écho favorable surtout auprès des établissements financiers.
Quelles sont les principales mesures prévues par le projet de la loi de finances pour l’année 2023 ?
En attendant la publication du Décret-loi portant loi de finances pour l’année 2023, les mesures qui sont annoncées initialement et qui ont été présentées aux membres du Conseil National de la Fiscalité peuvent être résumées comme suit : une instauration d’un impôt sur la fortune immobilière pour les personnes physiques au taux de 0,5% sur la valeur des biens détenue au 31 décembre de l’année précédente et dont la valeur est égale ou supérieure à 3 Millions de TND, et ce, à l’exclusion des biens à l’exploitation. Une suppression du taux de l’IS fixé à 10% progressivement afin qu’il soit remplacé par le taux de 15%. Une généralisation de l’exonération de la R/S à tous les produits soumis à l’homologation des prix et non pas seulement dont la marge ne dépasse pas 6%, et ce, avec la réduction de leur minimum d’impôt et de la TCL de 0,2% à 0,1%. Une instauration d’une pénalité de 20% pour les paiements en espèces dont le montant dépasse 5.000 D au lieu de la non-déductibilité de l’amortissement des biens d’équipement ou des charges d’exploitation ainsi que la TVA correspondante. Une avance de 5% à payer par les grossistes sur leurs acquisitions de boissons alcoolisées auprès des industriels.
Ceci, outre une prise en charge du taux d’intérêt pour les petits agriculteurs dans les grandes cultures, une exonération au titre des intérêts des prêts immobiliers des logements sociaux, un encouragement des forfaitaires dont le CA ne dépasse pas 75.000 D à adhérer au régime de l’auto-entrepreneur afin de bénéficier de la couverture sociale, une classification des contribuables en 4 catégories : du transparent au fraudeur et augmentation de l’avance de 10% à 15% sur les importations pour ceux qui sont en défaut ou ne sont pas transparents et une obligation de l’enregistrement des procurations notamment dans le cadre de la vente des voitures.
Suite à la parution du Décret relatif à l’exclusion de certaines activités du bénéfice du régime forfaitaire d’impôt, quel est l’impact de cette décision sur le plan fiscal ? Est-ce qu’on peut parler d’une justice fiscale ?
Afin de mieux comprendre le régime forfaitaire d’impôt, il serait plus adéquat de présenter les données suivantes: en se référant à l’article 44 bis du Code de l’Irpp et de l’IS, nous constatons que ce régime s’applique aux entreprises individuelles qui réalisent des revenus de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux dans le cadre d’un établissement unique, et ce, sous certaines conditions dont notamment celle relative au chiffre d’affaires qui ne doit pas dépasser 100.000 Dinars par an. Sachant que ce régime est accordé pour une période de 6 ans à compter de la date du dépôt de la déclaration d’existence, et demeure renouvelable en cas de présentation des données nécessaires concernant l’activité qui justifient l’éligibilité au bénéfice dudit régime.
Par ailleurs, l’impôt forfaitaire est déterminé sur la base du chiffre d’affaires annuel comme suit : 200 dinars par an pour les entreprises implantées dans les zones communales conformément aux limites territoriales des communes en vigueur avant le 1er janvier 2015. Ce montant est réduit de 50% pour les entreprises implantées dans les autres zones, et ce, pour un chiffre d’affaires égal ou inférieur à 10 mille dinars. 3% pour le chiffre d’affaires entre 10 mille dinars et 100 mille dinars. En réalité, les limites relatives au C.A réalisées par les forfaitaires ne sont pas respectées dans la pratique. En effet, le chiffre d’affaires déclaré par les personnes éligibles au régime forfaitaire ne dépasse guère la limite de 10.000 Dinars par an, de telle sorte que le taux de 3% du C.A ne s’applique que très rarement. Le nombre des forfaitaires est estimé à 400.000 personnes, et le montant de l’impôt sur le revenu supporté par ces personnes est évalué à soixante millions de dinars (60 MD) par an, de telle sorte que la moyenne de l’impôt par personne est aux alentours de 150 D par an. Alors et en faisant une simple comparaison avec un planton dans la fonction publique qui perçoit un salaire net imposable de 600 D par mois, soit un salaire annuel de 7.200 d’impôt sur le revenu est fixé à 572 Dinars. Tout simplement, ce n’est pas juste. Et la justice fiscale n’est qu’une simple rhétorique.
Quelles sont vos propositions pour assurer une meilleure équité fiscale entre le régime réel et le régime forfaitaire ?
A mon avis, et en attendant de faire la refonte totale de ce régime qui constitue une niche de fraude et de malversation, il serait recommandé de prévoir un régime forfaitaire optionnel pour les personnes qui désirent rester dans ce régime, et ce, en contrepartie d’une contribution annuelle fixée au moins à deux mille dinars par an (2000 D/an). Dans ce cas, et si 200.000 personnes optaient pour ce régime, les recettes fiscales seraient de l’ordre de quatre cent millions de dinars (400 MD).
Cette proposition, si modeste soit-elle, aurait le mérite d’améliorer les recettes fiscales afin d’étaler la charge fiscale sur un plus grand nombre de contribuables et d’assurer, un tant soit peu, une certaine équité fiscale.